Le réalisme des anges

Les peintures d’Éric Corne sourient à qui les regarde, du moins à qui les regarde avec affection. 

En ordonnée si on peut dire, elles sont le tableau d’une scène – d’une cène même parfois, très diffractée, incomplète –, et, en abscisse, elles donnent une leçon d’histoire de la peinture. Éric Corne ne peint pas ex nihilo, comme les Modernes parfois  sans attention assez au travail de main. On voit de belles mains dans les toiles d’Éric Corne. Quelques immeubles comme des dominos (on trouve de vrais dominos sur une table) qu’on imagine brésiliens– le Portugal et le Brésil sont des terres d’adoption pour le peintre –rappellent que la modernité est aussi invitée, à l’horizon, sur la scène éternelle de l’amour.

 

Chaque tableau est l’écho aussi modeste qu’insistant et joueur d’autres peintures. Certaines toiles ont presque avec un peu d’ironie l’humilité d’une cimaise et c’est cette humilité aussi qui leur donne leur force spéciale et leur élan. On peut le dire ainsi : les tableaux d’Éric Corne, avec leur couleur ondulée, font du bien à l’âme et rendent assez heureux quand on les a vus. Expérience pas si ordinaire en peinture.

On peint avec les autres. Le Greco rebondit dans Cézanne qu’on voit délicieusement blanchir chez Morandi, comme on a pu le vérifier cette année dans l’exposition qui a été consacrée aux filiations – en amont et en aval – de Cézanne au musée Marmottan Monet. Chagall est ainsi dans la palette d’Éric Corne, il est sa grammaire si on veut. Les anges ne sont pas des abstractions ou des catastrophes comme chez Klee, ni des principes. Ils participent, comme chez le Russe, organiquement à l’existence, presque comme peut l’être tout simplement une salière sur une table dressée. Ils accompagnent les vies quand celles-ci osent se prendre dans l’amour qui les exile du confort. 

Tout se double dans la peinture d’Éric Corne : deux tourterelles, ou deux cédrats, un homme et une femme, et parfois des tableaux amicalement posés en duo sur une table, par exemple dans l’un d’entre eux une reproduction un peu satirique des Ménines de Vélasquez, réduites presque à un profil,et Le parasol (El quitasol) de Goya qui est comme un fruit d’été sur une table. 

Magritte signe à son insu un autre coin de l’œuvre quand un arbre, mine de rien et qui ne demande rien à personne, pousse au coin d’une table. Une chouette picassienne transformée en vase, fait la fausse étonnée : elle est aussi de l’arche. D’un peu loin, en noir et blanc, elle fait songer à un crâne de Vanités. Les dominos étaient du reste un autre indice de ce genre qui passe dans l’œuvre d’Éric Corne. Un chien, comme peint avec une densité plus grande et de plus grands effets de réalisme– comme celui du premier plan des Ménines là encore –accompagne certaines toiles et leur donne plus de matière. Le chien de l’artiste fait l’offrande de sa présence simple et de sa mortalité.

L’univers est ciel, terre et mer, mer amérindienne qui vibre au lointain de presque tous les tableaux et les rend mouvants et presque un peu sonores. Écouter un tableau aussi parfois...

Il y aussi enfin et surtout des images qu’on garde. Dans un tableau, dans un angle deux tourterelles un peu vermeeriennes s’aiment d’amour tendre, sages dans leur cage assez petite. À l’autre ang(l)e du tableau, une femme enceinte, arrondie, déformée par la vie arrondie qui vient, tient son ventre.

Dans un autre, une jeune fille apporte des fleurs à une toile dressée. Cadeau à la peinture elle-même, qui ferait allégorie si nous qui voyons cette peinture n’étions pas complètement pris au jeu de l’image, de son innocence. Rien ne nous étonne en particulier dans l’ordre instauré par la toile.

 

Un tableau représente l’artiste en tenue contemporaine, à la Hockney, assis dans l’herbe, et regardant un masque blanc de théâtre italien. La vie est-elle théâtre ? Éric Corne reprend à son compte l’interrogation de Charlotte Salomon qui donna à l’ensemble de son travail, fulgurant et qui s’étala sur seulement deux ans (1940-1942),le titre : Leben ?Oder Theater ?Le peintre fut curateur d’une exposition sur « Charlotte », comme il dit avec tendresse, à Lisbonne, au musée Berardo. Les peintures rassemblées dans le cycle « le réalisme des anges » furent peintes en seulement un an dans le sillage de cette exposition. 

 

Charlotte Salomon garde l’art angélique, personnel et aimant d’Éric Corne. 

 

François Ardeven
Psychanalyste
Président de la commission culture du centre Medem-Arbeter Ring

Entretien avec Thomas Lévy-Lasne